Il m’a toujours appelée « Maidel » (fillette) et son affection me mettait de la joie au coeur.
René-Xavier Naegert me manque. Mais à qui ne manque t’il pas, celui que grands et petits avaient fini par appeler « Le Pope » alors qu’il était prêtre et enseignant ?
Il manque à tous ceux qui ont eu la chance de le connaître. Ses mots me manquent, tout comme sa voix, à la fois ferme et douce, et son regard rieur et espiègle.
Et si je l’aimais tant, c’était pour sa faculté d’écoute, sa profondeur d’âme, son aptitude à l’empathie et son étonnante énergie à aider les autres.
Il y avait nos rencontres organisées, généralement au restaurant « Stadtwappe » à Strasbourg, à nous régaler d’une bretzel, d’une bière pression et du plat du jour. Et puis il y avait nos rencontres dans la rue, par hasard, mais il n’y a pas de hasard, disait-il. C’était généralement au centre-ville et dans le quartier de la Petite-France à Strasbourg, autour de la rue-du-fossé-des-tanneurs où il vivait.
Je le croisais souvent le matin autour de 8 heures sur le quai de Turckheim. Nous étions tous deux à vélo. Je pédalais en direction de la radio et lui venait en sens inverse pour acheter du pain à la boulangerie « Chez Steph« . Nous nous faisions la bise, échangions quelques mots, jamais de mots creux qu’il détestait. « Sie sìn wie laari Sprìtzkànne » (Les mots creux sont comme des arrosoirs sans eau).
Il me racontait qu’il s’était encore levé à l’aube, qu’il s’était déjà rendu dans un camp de tziganes, d’immigrés, de « sans domicile fixe », à Koenigshoffen ou ailleurs, pour apporter de l’argent, des vivres et des mots bienveillants.
Je savais que sa journée serait remplie par des actions de grâce, à pédaler vers l’hôpital de Hautepierre, vers la clinique Sainte-Anne, pour accompagner des personnes en fin de vie. Sans oublier les baptêmes, mariages, messes qui charpentaient ses jours.
Parmi ses multiples engagements, figurait celui de faire aimer Saint-Ludan. Dans la chapelle qui lui est dédiée à Hipsheim, où il avait fait transformer l’ancien presbytère et la vieille grange dîmière en « Relais de l’espérance », il disait souvent des messes en alsacien qui connaissaient un grand succès.
Il était aimé car il aimait les autres. Et c’était une manne de l’écouter parler, en français comme en alsacien. Homme de lettres, il se délectait des textes de Maître Eckart, de Hildegarde von Bingen, comme de Rûmi, le poète mystique perse sur les traces duquel il retourna plus de quarante fois en Turquie.
Il m’a offert des livres de poésie et de philosophie qu’il achetait à la Librairie Kléber chez François Wolfermann et pour lesquels il demandait toujours un emballage-cadeau. Ces livres furent à chaque fois une émotion et une ouverture d’horizon.
La lecture du livre « Histoire de la fille qui ne savait pas s’agenouiller » m’a rendu Etty Hillesum très proche. C’était comme si ce livre avait ouvert en moi une porte par laquelle elle est entrée. A ma façon de voir le monde, s’est ajoutée la sienne et ce ne fut pas de tout repos de laisser ainsi mon être se remplir d’une telle quantité d’émotion. Je me sens si proche d’elle dans sa façon de voir le monde, de vivre les autres, de vouloir vivre l’instant, d’être altruiste et dénuée de haine.
Toute sa vie, René-Xavier Naegert n’aura eu de cesse d’aider les autres, de leur transmettre un message spirituel. « Tout être est un univers« , disait-il. Il était doté d’un étonnant charisme mais restait d’une modestie déroutante. « Je ne sais pas si je suis un bon prêtre » disait-il fréquemment.
Il n’a jamais accepté d’entrer dans les rangs dictés par l’église catholique qu’il jugeait trop conservatrice, il s’est toujours exprimé avec franchise, avec impertinence, sans en être inquiété. Et il fut souvent taxé d’anarchiste.
Il était l’ami de tous, des pauvres et des nantis, des ouvriers, des cadres et des ecclésiastiques qui lui confiaient leurs doutes et pour lesquels son avis faisait référence.
René-Xavier Naegert écrivait des éditoriaux dans l’Ami Hebdo. C’est Christine Nonnenmacher, la rédactrice en chef de cet hebdomadaire, qui a mis à ma disposition les photos de cet homme qui détestait être photographié, comme il détestait les honneurs et les ronds-de-jambe.
J’ai souvent voulu lui dire le bienfait qu’il m’apportait et qu’il apportait aux autres mais il rendait tout compliment impossible.
« Màch’s güet, Maidel« , disait-il, pour couper court à tout mot qui aurait pu éveiller en lui un milligramme de vanité.
Il est mort le 20 février 2015.
La cathédrale de Strasbourg était pleine à craquer pour ses obsèques, pas seulement les places assises, mais toutes les places debout étaient noires d’une foule silencieuse, attristée et reconnaissante.
Il n’en reviendrait pas de voir comme il est aimé, me disais-je. Et je l’imaginais me dire en riant les mots de Georges Bernanos avec lesquels il a tracé sa ligne de vie : « C’est le mystère des mains vides qui donnent ce qu’elles n’ont pas ».
Vous trouverez sur ce site un autre texte relatant la biographie de René-Xavier Naegert sous ce lien.