Je t’aime pour
Je t’aime pour m’avoir appris à aimer
les asters qui s’ébouriffent sous juin,
et les vers de terre qui s’extirpent
allègres de la terre détrempée,
et le bec jaune du merle
qui picore la pomme gelée de décembre.
Je t’aime pour m’avoir donné
le goût de la terre,
l’amour du sureau en fleurs,
et du cerfeuil anisé.
Je t’aime pour les agneaux biscuités de Pâques
et les étoiles à la cannelle de Noël.
pour les oiseaux argentés
que tu pinçais dans le sapin,
pour les vases de fleurs que tu alignais
sur le rebord des fenêtres à Fête-Dieu.
Je t’aime pour ton honnêteté,
ton entêtement à tordre le destin,
à garder la tête droite
en dépit de l’ adversité.
Je t’aime pour tes mains
qui travaillaient comme trois paires
et qui restaient fines comme ta ligne de vie.
Je t’aime pour l’espérance qui te portait
et qui me porte à mon tour,
pour ton aptitude à respecter le malheur,
en regardant vers le ciel,
en avançant en ligne droite
vers le bout du sillon
avec ta foi inébranlable
portée comme un sceptre.
Je t’aime pour ce que tu fus :
un exemple de vie
une image de vie
si vivante
si forte
que la terre porte ton parfum.
Simone Morgenthaler (extrait du livre Au jardin de ma mère La Nuée Bleue), avec des poèmes de ma soeur Denise Monnery Morgenthaler
Souvent ces mots investissent ma mémoire, ondoient en moi. Ils se sont imposés à moi en novembre 1996 lorsque je me suis rendue chez Michel Bleu, pour préparer l’émission de la série télévisée « Sür un siess » sur France 3 Alsace dont il allait être l’invité.
Sa ferme-auberge du Gsang, située sur le hauteurs de Moosch, dans le Haut-Rhin, n’était pas facile d’accès, surtout en hiver. Nous avions défini qu’une fois arrivée à Moosch, je l’attendrais à l’entrée de la forêt où il me chercherait en 4×4. Il n’y avait pas de neige dans la vallée, mais elle était tombée en altitude.
J’ai coupé le moteur de mon auto et j’ai attendu que Michel me rejoigne. Il faudra compter 20 minutes avait-il dit.
Dans le silence de la forêt, engourdie dans mon auto, j’ai laissé les pensées vaquer. Je venais de perdre ma mère deux mois plus tôt . Son absence m’investissait totalement, ici, dans cette forêt, dans l’attente de la venue de Michel Bleu. J’ai pris une feuille de papier sur laquelle j’ai étalé des mots, coulés de moi comme d’une fontaine.
Michel vint. J’ai glissé la feuille dans la poche. J’ai grimpé dans son 4×4. Dans la montée vers le Gsang, la neige était de plus en plus haute. Nous couvrîmes les 500 derniers mètres sur sa moto des neiges. Michel vivait à 1100 m dans une nature sauvage, avec par beau temps, une vue sur la Forêt Noire et parfois sur les Alpes. Son auberge, (alors sans électricité), chauffée au feu de bois était très accueillante. Des Haut-Rhinois, joyeux retraités avaient fait à pied la montée depuis Kruth. Leurs joues étaient rosies par l’ effort. J’ai préparé l’émission avec Michel, nous avions opté pour la recette de la choucroute aux spätzle et je suis repartie avant la fin de l’après-midi. La nuit en cette saison venait vite.
Quelques jours plus tard, en plongeant ma main dans la poche, je retrouvais la feuille froissée sur laquelle j’avais griffonné en forêt en attendant Michel. Je vis à mon étonnement que le texte était achevé, qu’il ne lui manquait ni virgule ni point. Il s’agit de ce texte « Je t’aime pour » qui figure dans mon livre Au jardin de ma mère La Nuée Bleue.