Le visage de ce géant, sa moustache blanche, ce visage avenant et débonnaire, a longtemps marqué le public alsacien, au Théâtre Alsacien de Strasbourg et à la télévision régionale, du temps de l’ORTF puis de FR3 Alsace. Il a subjugué le public dans la série à succès Lach d’r e Scholle, diffusée de 1984 à 1990, qui avait une popularité énorme.
Aujourd’hui encore, des téléspectateurs rencontrés au hasard, me disent leur attachement à cette émission qui fut brutalement supprimée par la direction de Paris.
Il est des visages que l’on voudrait montrer dans la fleur de l’âge. Ce n’est pas nécessaire pour Marcel Spegt. Sur cette photo prise par Georges Traband qui lui rendit visite le jour de ses 90 ans, Marcel Spegt est resté tel qu’en lui-même : ce regard clair, ces cheveux devenus blancs tôt, ce visage pince-sans-rire : on le reconnait entre mille, celui lui qui nous fit rire durant des décennies.
Il savait aussi tenir des rôles sérieux come celui qu’il incarna dans « Les deux Mathilde », la série télévisée réalisée par Michel Favart et diffusée sur France 3 Alsace. O
On retiendra aussi de lui son inlassable envie de promouvoir la langue alsacienne. Il fut ainsi, dans les années 1970, un membre fondateur de l’Association Jean-Baptiste Weckerlin, initiée par Martin Allheilig, qui publiait des recueils de poèmes alsaciens qui font aujourd’hui office de mémoire (avec les poètes André Weckmann et Conrad Winter, parmi bien d’autres).
Marcel Spegt est décédé au bout de l’année 2019, le 30 décembre 2019. Je l’ai appris par Georges Traband , qui fut directeur de France 3 Alsace de 1983 à 1991 et qui est le président de l’Amicale Nationale des Retraités de la Radio et de la TV (ANRA).
Georges écrivait ceci le 31 décembre 2019 :
Décidément, il faudrait supprimer du calendrier les derniers jours de l’année car ils nous apportent trop de mauvaises nouvelles. Après Nicolas Antony, Bernard Schuster et Robert Trimbach, membres décédés en fin 2018, je viens d’apprendre que Marcel Spegt nous a quittés la nuit dernière.
Le samedi 18 mai 2019, je lui avais rendu visite pour souhaiter un bon anniversaire à ce grand ancien de notre radio-télévision régionale à l’occasion de ses 90 ans.
Dès l’immédiat après-guerre, à sa sortie du Conservatoire, il a participé comme comédien aux émissions de notre radio régionale qui diffusait à l’époque deux soirées alsaciennes par semaine – le jeudi et le dimanche – depuis les studios de la Villa Greiner.
Bien entendu, il a pris part également à la naissance de notre télévision régionale, ici dans le rôle du Malade Imaginaire, « D’r Inbeldunskrank » mais aussi, entre autres, en incarnant Hansi dans un téléfilm réalisé par Patrick Martin, pour ne citer que ces deux rôles qu’il a interprétés parmi des dizaines d’autres.
Il a également fait partie de la joyeuse bande des conteurs de « Lach d’r e Scholle » réunis par le regretté Pierre André.
Parallèlement il a été, durant plus de trente ans, une des chevilles ouvrières du Théâtre Alsacien de Strasbourg, d’abord comme comédien avant d’en être le Président, devenant également le Président de la Fédération des Théâtre Alsaciens regroupant les principales troupes dialectales de notre région.
Bref, avec Marcel Spegt disparait aujourd’hui une figure incontournable, un serviteur inlassable de notre culture alsacienne mais aussi un adhérent fidèle de notre Amicale.
Ayons une pensée pour lui ainsi que pour son épouse et ses enfants.
Georges
Marcel Spegt, qui tomba amoureux du théâtre alsacien petit garçon, à cinq ans, lorsqu’il vit le premier Wihnachstmaerel (le conte de Noël), a transmis sa passion à son fils Pierre qui préside le Théâtre Alsacien de Strasbourg. Il y adapte aussi des pièces et les met en scène. Pierre Spegt ne pensait pas devenir comédien. Un comédien dans la famille, cela suffit, pensait-il. Son père Marcel l’a emmené dès l’âge de 5 ans voir son premier Wihnachstmaerel (conte de Noël) puis tout le répertoire des pièces dialectales. Il suivra de même son charismatique papa dans les années 60 aux enregistrements radio, puis télé.
Marcel Spegt vivait au boulevard d‘Anvers à Strasbourg, où il a longtemps tenu un débit de tabac, tout en menant sa passion du théâtre. Mais il est originaire de Schiltigheim. Ce qu’il raconte dans des entretiens menés par la Fédération des Théâtres Alsaciens dont voici des extraits :
Je suis né en 1929, et j’ai grandi à Schiltigheim. Ses habitants ont été évacués vers Saint-Julien en Dordogne, dans une région avec des villages très pauvres, délabrés. Mon père travaillait à la société générale de Strasbourg, donc nous avons eu la chance d’être évacués à Périgueux dans un wagon commode. Là‐bas avait été transférée toute l’administration strasbourgeoise : la mairie, les banques, la préfecture. Nous avons pu bénéficier d’un vrai appartement, avec une cuisine et une chambre pour les parents. L’évacuation était une bêtise. On nous amenait dans la région la plus pauvre de France. Même si notre famille a été très bien reçue, il y avait un fossé entre notre vie alsacienne et celle que nous étions forcés de mener. Et il faut se figurer les changements radicaux opérés à notre retour : je n’avais alors que 10 ans. Tout d’un coup, pour moi, plus de collège Saint-Etienne, mais la « Bismarck Hochschule ». Plus de français mais de l’allemand partout. Même l’écriture avait changé, nous devions nous mettre à l’écriture « Sütterlin » ! Et tout nos professeurs étaient âgés, parfois des retraités qui reprenaient du service. Nous, enfants et adolescents, étions un peu abandonnés. Nous ne comprenions plus rien.
Lorsqu’on lui demanda comment il était arrivé au Théâtre Alsacien de Strasbourg, voici sa réponse.
Je n’avais pas une famille d’artistes mais j’ai toujours connu le Théâtre Alsacien car mon oncle Frédéric Spegt était l’un de ses membres fondateurs. Notre famille avait donc une « baignoire » réservée au Théâtre. J’ai quitté le Lycée Kleber à 16 ans, je suis allé au Conservatoire. Là‐bas j’ai rencontré Dinah Faust, la future compagne de Germain Muller. Après, j’ai eu la chance d’avoir une petite émission hebdomadaire à Radio Strasbourg.
Je suis arrivé au Théâtre Alsacien en 1947. Germain avait donc commencé l’aventure du « Barabli » depuis un an. Il a d’ailleurs recruté ses comédiens parmi les membres du Théâtre Alsacien : Félice Haeuser, Robert Breysach, René Wieber, Charles Falck… Personnellement, je n’ai jamais été attiré par le cabaret. Les formes classiques du théâtre me conviennent mieux.
Dans Lach d’r e Scholle, la série télévisée réalisée par Alfred Elter, Marcel Spegt représentait l’homme à l’accent des Strasbourg et de ses faubourgs (de Steckelburjer-Akzent). Il devait tenir la dragée haute à Camille Schaub, de Sarreguemines, qui faisait sonner son beau parler francique nommé Platt, ainsi qu’au Haut-Rhinois Freddy Willenbucher alias Professer Flascheputzer.
J’essaie d’imaginer les retrouvailles de ces trois joyeux drilles.
Il me semble encore entendre les éclats de leurs rires.
Ou les entendre à nouveau.
Mais c’est pure imagination.