Le printemps ne démarre pas toujours le 21 mars. Cette année encore, il a débuté le 20 mars, comme ce fut le cas en 2020, en 2021 et comme ce sera encore le cas au cours des trois prochaines années. Cela correspond au jour de l’équinoxe de printemps, c’est-à-dire le moment où le Soleil est parfaitement aligné avec l’équateur et où la durée du jour devient égale à celle de la nuit.
En tous cas les prunelliers sont en fleurs et ils se posent dans le paysage de gros bouquets de mariés.
On les nomme Schleh en alsacien ou Schwarzdorn (ce qui signifie épine noire). Ces fleurs se transformeront à l’automne en baies bleues qui donnent un alcool prisé. On peut les transformer en liqueur et confiture (vous trouverez des recettes de liqueur et de confiture sous ce lien).
J’ai repensé à un temps éloigné où j’ai croisé ces prunelliers dans le Berry givré. C’était en 2000, un temps à la fois si loin, si proche.
Le soleil inondait la campagne berrichonne. On était encore tôt le matin. J’ai enfilé mes chaussures et j’ai couru dans la campagne verte.
Par endroit elle était bleutée par le givre qui blanchissait les prairies.
J’ai quitté le château médiéval de Chabenet pour rejoindre la rivière la Bouzanne, ses lavoirs en dégringolade, ses rives où naissaient les boutons d’or et les primevères.
Près de mousses, je vis les premières violettes. J’en fus si joyeuse que j’en ai détachée une pour la respirer puis la mettre sous mes dents, et sentir sur mon palais son parfum délicat. J’ai vu dans les sentiers mouillés et meubles des traces de chevaux. Le cheval était dans son enclos jouxtant la rivière, il vint vers moi. Pensait-il reconnaître sa maîtresse ? L’air était vif. La nuit de printemps avait été si froide qu’elle avait blanchi les prairies, et qui le restait là dans les zones que le soleil n’avait pas encore balayé de ses rayons.
Le plus surprenant était ces haies de pruneliers couvertes de fleurs blanches et qui, à côté de l’herbe givrée, semblaient également blanchies par le givre, alors qu’elles exhalaient la finesse d’un printemps tout proche.
Leur mot alsacien, Schleh, hantait mon esprit. Je savais la couleur que prendraient leurs baies et la saveur de la confiture qui en naîtrait.
Dans le sentier fleurissait une primevère, e Himmelschlissel. Elle me ramena à Albrecht Dürer, un peintre que j’aime. J’ai pensé à sa belle aquarelle de la primevère. Il avait faite sienne cette fleur avec une telle précision, une telle justesse que, à distance, je m’en sentais retournée, alors que je n’avais pas son aquarelle sous les yeux.
J’ai plus tard roulé vers l’abbaye de Fontgombault, joliment postée sur les bords de la Creuse, entourée de verdure. Une communauté de bénédictins (autrefois des trappistes) vivent là, travaillant la terre. Ils se prêtent aux règles très strictes de leur communauté.
J’eus la chance de venir peu avant les vêpres qui démarraient une heure plus tôt que prévu (à 17 h au lieu de 18h). Dans l’église non encore éclairée, j’ai vu passer l’ombre d’hommes, enveloppés dans leur longue cape noire à capuche pointue, aux larges manches dans lesquelles ils cachaient leurs mains pour parfois les extraire et prendre un objet en faisant avec leurs manches volumineuses des mouvements amples.
Quatre cordes pendaient dans le chœur. Les quatre moines ont tiré sur la corde pour faire sonner les cloches dans un rythme très étudié. Le poids de la cloche les tirait parfois vers le haut et les soulevaient légèrement du sol. Je vivais des instants d’un autre temps.
Les vêpres ont commencé. Une quarantaine de moines a investi le chœur. De façon très tonique, ils ont fait résonner leurs chants grégoriens. La cérémonie n’était guère lassante : les moines bougeaient sans cesse. Selon un ordre précis, ils se prosternaient, puis changeaient de place. J’avais dans mon rang un moine qui tenait deux gros missels qu’il alternait. Il était très mince (on était en temps de carême) et il avait un visage d’intellectuel.
Il se levait comme ses confrères à 4h30 pour la première messe. Il travaillait dur toute la journée et il priait comme ses confrères, là, dans cette église froide, pendant cette heure, et pendant les heures qui avaient précédé et celles qui suivraient encore. Sans voir sa famille. Une vie à prier pour le bien de l’humanité, dans une grande ascèse.
Je fus touchée de voir ces jeunes qui avaient « pris la robe ». Je trouvais admirable que, en cette ère si superficielle, où tout va si vite, des jeunes choisissaient cette vie d’abnégation.
Dehors, les prunelliers créaient une atmosphère vaporeuse, comme si une chevelure très blanche frisottait allègrement. Je les imaginais en couronnes de mariées, en bracelets à placer autour du front, du cou ou de la taille.
On en oublierait que ces haies d’apparence douce sont piquantes.
Leur autre nom « épine noire » est là pour le rappeler à ma mémoire exaltée.