dessin Lul
Après cet été secoué par le tollé autour du burkini, monté en épingle par les médias pour attirer le manant en le priant de ne surtout pas faire d’amalgames, je repense à l’insouciance avec laquelle nous chantions la chanson américaine de 1960 Itsy Bitsy Teeny Weeny Yellow Polkadot Bikini reprise par Dalida, Richard Anthony et Johnny Halliday.
Aujourd’hui, plus personne n’ose la chanter à tue-tête, ou, si nous la fredonnons, nous pensons irrémédiablement à « burkini », ce nom de récente invention, en opposition au « bikini », qui a pris une ampleur phénoménale, dont le port a nourri à l’extrême les débats, sans doute parce qu’il est un terme né non pas de l’islam mais de l’islamisme, ce mot qui fait peur à raison et qui a fait naître l’islamophobie.
Il est évident, même naturel qu’avec la peur et les violences infligées par l’islamisme, nos esprits fassent automatiquement ces « amalgames » qu’on nous enjoint ne pas faire : lorsque nous voyons un burkini, comment nous empêcher de ne pas penser aux attentats, aux régressions de liberté pour les femmes, au désordre social que cette guerre de religion larvée a créé dans le monde, à la haine qui monte entre les hommes ?
Il n’est pas nécessaire d’être fin psychologue pour comprendre que la ville de Nice, encore si meurtrie par les attentats du 14 juillet, ait vu dans ce vêtement une provocation.
Que chacun s’habille comme le lui dicte sa conscience et sa pudeur est bien évidemment affaire de liberté et de tolérance. L’essentiel est de se sentir bien dans son corps et dans sa tête sans nuire à la société. Qu’une femme veuille se baigner en burkini est affaire de liberté individuelle. Ce qui me gêne dans cette tenue, c’est qu’elle est issue de la décision des hommes pour appliquer une mainmise sur les femmes.
Je suis fière de l’émancipation à laquelle les femmes sont parvenues en Europe, au prix de combats rudes et souvent au prix de grandes douleurs et d’humiliations. Je sais gré à Simone de Beauvoir, Christiane Rochefort, Françoise Groult, Geneviève Dormann et d’autres, des libertés qu’elles nous ont permis d’acquérir. Leurs livres, leurs enseignements ont fait évoluer les consciences et ont cassé le carcan de nos libertés ligotées par les hommes, même si la parité n’est aujourd’hui toujours pas atteinte.
Dire qu’il a fallu attendre 1944 pour qu’en France le droit de vote soit accordé aux femmes ! C’était presque hier que l’on considérait encore, au pays des droits de l’homme, qu’une femme était faite pour enfanter et tenir le foyer mais que, hors de cela, elle n’avait pas voix au chapitre.
Ces avancées sur l’égalité femme-homme furent salutaires à tous points de vue. Je ne peux donc que vivre négativement des sociétés où les hommes pensent pour les femmes des modèles de régression où l’avis des femmes comptent peu, ou pas du tout.
Comment adouber le fait qu’en Arabie Saoudite les femmes n’aient pas le droit de conduire ni de boire un verre à une terrasse, ni de se mêler dans un lieu public à une autre présence masculine que celle de leur époux? Comment accepter que le femmes ne jouissent pas en ce même pays d’une existence légale, ni d’une entité juridique et que les hommes ont droit de vie et de mort sur elles ?
C’est quasiment impossible pour les Françaises (et les Européennes) d’aujourd’hui de ne pas s’offusquer d’une telle privation de droits sous prétexte que l’on est née femme.
J’aimerais que, par delà le discours post-colonial culpabilisant, nous parvenions à nous rapprocher, à gommer les fossés béants qui nous séparent. Mais comment rendre soeurs la femme issue de mai 68 et celle régie par des préceptes qui entravent ses libertés ?