Cueillette de cerises

J’aime les vieux cerisiers, ces « hautes tiges », hochschtàmmigi Kìrschbääm, comme on dit en alsacien.

Cerises © S. Morgenthaler

Pour y entrer il faut de hautes échelles. Mes grands-parents en avaient planté certains. Ils sont plus que centenaires et ont fini par s’éteindre, l’un après l’autre.

Je repense au temps de l’enfance où, sur une dizaine de jours chaque année, avec les longues échelles encordées sur une carriole, avec des paniers, des corbeilles et des gaules, nous passions des journées entières à cueillir des cerises.

Je repense aux échelles, si lourdes à placer dans l’arbre, aux oiseaux voraces qui entament les fruits juteux d’un coup de bec, à l’alouette qui monte au zénith en exprimant sa joie par des trilles.

Nous emportions une miche de pain du boulanger Félix, ainsi qu’une saucisse de viande entière, rose et ronde, avec la ficelle nouée à chaque extrémité.

J’aimais goûter, depuis le sol, les cerises de chaque arbre, en attrapant d’un bond les ramures basses et saisir guignes, bigarreaux, cœurs de pigeon et griottes aigrelettes. Pour les attraper il faut se propulser sous l’arbre, saisir la branche. Parfois elle file entre la paume pour balayer l’air en un balancement goguenard et faire voler une feuille arrachée.

Je repense au ruisselet qui coule non loin des cerisiers. Comme autrefois, iI reste bordé de reines-des-prés couleur nacre, et de salicaires qui dressent leurs hampes violettes.

Je repense à la bouteille de limonade avec sa fermeture à ergot que nous remplissions de café légèrement sucré, fortement dilué d’eau, boisson appelée Kàffeewàsser. Nous posions la bouteille dans l’eau fraîche du ruisselet et elle nous désaltérait : la canicule était forte et il fallait hydrater nos corps assoiffés.

Je me souviens de la musicalité si apaisante de la brise dans les frondaisons des peupliers. Le plus petit brin de souffle les fait bruire avec un entrain juvénile qui se diffuse vers les cieux tant ils sont hauts.

Le soir, nos corps fourbus prenaient le chemin du retour, avec nos mains collantes et nos bouches bleutées. Nous apportions nos corbeilles remplies à Marguerite Kleinklaus qui pesait notre récolte. Les cerises étaient versées dans d’énormes tonneaux. Elles étaient ensuite distillées par un bouilleur de cru de Kirrwiller qui les transformait en kirsch.

Je me souviens de mon père, de ma mère, avec une justesse si précise qu’il me semble qu’ils sont là, à portée de doigts.

C’est cela, l’effet magique des cerisiers : ils me propulsent dans l’enfance et ils me restituent les aimés disparus avec une netteté bouleversante.

C’est pratique un banc sous un cerisier bas :
il suffit de tendre la main pour les cueillir.
On participe de plus à la joie des oiseaux qui font balancer les branches
et donnent leurs coups de becs dans les fruits juteux © Simone Morgenthaler
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