J’ai découvert Ballersdorf, ce petit village sundgauvien, dans les années 1980 grâce à Guschti Vonville, homme de théâtre et de médias qui, en bon connaisseur de sa terre, m’a fait voir les lieux essentiels du Sundgau, cette partie méridionale de l’Alsace, en prévision d’un documentaire télévisé que je préparais. Guschti me fit visiter ce village de huit cents habitants qui donne la main à la Suisse et, posté devant le bistrot du village, me narra le « massacre de Ballersdorf ».
Pour échapper à l’incorporation de force, dix-neuf jeunes hommes de ce village, et de ceux voisins d’Anspach et de Dannemarie, essayèrent de fuir, à pied, par la frontière suisse dans la nuit du 12 au 13 février 1943. Ils durent renoncer, empêchés par les gardes-frontières allemands.
Après un échange de coups de feu, trois réfractaires furent tués sur-le-champ, un seul parvint à se rendre en Suisse (et à survivre). Les autres décidèrent de retourner dans leur foyer où ils furent arrêtés dès le lendemain, puis fusillés, quelques jours plus tard, le 17 février 1943 précisément, par un peloton d’exécution au camp du Struthof à Natzwiller, camp meurtrier du système nazi où plus de vingt-deux mille personnes sont mortes, dans cette haute vallée de la Bruche cernée de forêts superbes.
Les jeunes réfractaires ont laissé des familles abasourdies par le chagrin. Ils avaient un nom, un prénom, une vie qui les a quittés le même jour, au même moment. Je souhaite écrire leur nom pour leur redonner quelques secondes de vie.
Camille Abt,
Aloyse Boll,
Charles Boloronus,
Justin Brungard,
Aimé Burgy,
Eugène Cheray,
Alfred Dietemann,
Aimé Felleringer,
Robert Gentzbittel,
René Klein,
Henri Miehe,
Charles Muller,
Paul Peter,
Ernest Wiest,
Maurice Wiest,
Charles Wiest de Seppois-le-Bas,
et Charles Wiest d’Aspach.
Leurs familles furent internées au camp de Schirmeck, à deux kilomètres à peine de l’endroit où leurs enfants, proches des sapins centenaires, ont lâché leur dernier souffle.
Extrait de mon livre « Pour l’amour d’un père » (Editions du Belvédère)